Interviews

Réflexions d’un banquier – M. Jo Spencer, de la banque ANZ – au sujet des systèmes de paiement modernes appliqués dans le monde

Le Canada et l’Australie ont bien des points en commun, que ce soit leur taille géographique ou encore la structure simplifiée de leurs systèmes bancaires. Les deux pays sont également en plein processus de modernisation de leurs systèmes de paiements, et c'est pourquoi Paiements Canada a été ravie d’avoir la possibilité de s’entretenir avec le chef de la Technologie, de la Stratégie et de l’Architecture de la banque ANZ, monsieur Jo Spencer. Comme son expérience s’étend sur l’ensemble de la planète, nous l’avons également invité à se joindre à notre table ronde sur la modernisation des systèmes de paiements dans le monde vue par un banquier, qui se tiendra le mois prochain dans le cadre de la conférence Sibos.

M. Spencer, vous avez participé à la mise en place de systèmes de paiements de gros un peu partout dans le monde, et vous êtes maintenant consultant en conception à la banque ANZ pour le rail de paiements en temps réel de l’Australie, appelé la nouvelle plateforme de paiements (NPP). Qu’est-ce qui occupe votre attention ces jours-ci?
Je travaille dans le domaine des infrastructures de paiements depuis environ 26 ans, et mon parcours a commencé au début des années 1990 avec le système CHAPS du Royaume-Uni. Après ce projet, j’ai été appelé à mettre au point des systèmes de règlement brut en temps réel – des RBTR – en Arabie Saoudite, en Inde, à Hong Kong et dans une vingtaine de pays d’Europe. Ces solutions s’appuyaient, selon la tradition de l’époque, sur les normes et les réseaux de paiements internationaux (comme SWIFT) et possédaient des caractéristiques semblables. Les exigences variaient cependant d’un système à l’autre selon les caractéristiques propres à chaque pays.

On peut affirmer sans trop se tromper que les RBTR ont considérablement évolué au fil des ans, mais maintenant, nous commençons à penser aux paiements en temps réel. De façon générale, les systèmes de paiements en temps réels traitent un grand volume de paiements de faible valeur, fonctionnent en mode 24-7 et établissent des règlements nets au moyen des RBTR. Avec la NPP, nous avons conçu le système pour qu’il établisse des règlements individuels et en temps réel. Ainsi, de par sa conception, la NPP pourrait éventuellement remplacer l’actuel RBTR de l’Australie.

Une autre tendance intéressante dans l’évolution des systèmes de paiements tient à l’utilisation de la norme ISO 20022 comme norme de messages pour tous les différents types de paiements.  L’application de cette norme offre la possibilité de consolider les systèmes de paiements et de permettre ainsi le traitement de tous les types de paiements par les diverses infrastructures existantes.

La banque ANZ est établie dans 32 pays, principalement ceux de la zone Asie-Pacifique. Depuis dix ans, nous avons comme stratégie de déployer des solutions communes pour appuyer les paiements internationaux traités au moyen des RBTR ou des systèmes ACH, ce qui nous a permis de réutiliser ces solutions pour le traitement de ces paiements en temps réel dans certains pays.  Toutefois, lorsqu’il faut traiter de grands volumes de paiements – et nous en traitons des millions chaque jour en Australie et en Nouvelle-Zélande –, nous constatons que nos systèmes de paiements traditionnels commencent à ne pas suffire à la tâche, et nous avons dû modifier notre approche en matière de solutions pour mieux appuyer les paiements en temps réel.

En même temps que nous élaborons notre solution cible pour la NPP – qui doit entrer en activité plus tard cette année – et notre solution pour le système de paiements plus rapides de Hong Kong – prévu pour l’an prochain –, nous devons remplacer le système utilisé depuis toujours en Australie et en Nouvelle-Zélande pour le traitement des paiements au moyen des RBTR.  Notre objectif clé est donc de parvenir à aligner ces solutions. Nous sommes vraiment en pleine tempête parfaite en ce moment!

La banque ANZ appuie grandement la NPP, qui deviendra opérationnelle plus tard cette année. Qu’est-ce qui vous enthousiasme au sujet du rail de paiements en temps réel?
L’élément central des paiements en temps réel, c’est l’expérience client à client.  La NPP peut réellement changer le comportement des gens et des entreprises, leurs façons d’interagir avec les banques et les rouages du commerce. 

Les paiements aux clients seront effectués en temps réel d’un compte à l’autre et vers des comptes cibles, comme un numéro de téléphone cellulaire, grâce à des renseignements que les clients pourront comprendre.  De plus, la NPP intègre le concept de services superposés, qui permet au système d’évoluer pour appuyer des services précis multiples offerts selon différents modèles de services. Que ce soit pour l’achat d’une voiture ou d’une maison, le processus de paiement peut s’adapter au contexte commercial d’ensemble, et le client n’a même pas besoin d’en être conscient. Les institutions clientes et les clients du marché du détail peuvent tirer des avantages de ces possibilités en découvrant de nouvelles façons de faire des affaires et de nouveaux outils pour la vente des produits. Les clients profiteront d’une visibilité, d’une accessibilité et d’une instantanéité accrues – et les frustrations autour de l’incertitude des paiements disparaîtront.

Ce qui m’enthousiasme du point de vue de l’exécution des paiements, c’est que nous concevons la NPP en ayant à l’esprit les changements à venir.  Voilà le rôle que j’ai à jouer comme expert en conception dans le programme de la NPP. Nous avons été en mesure de configurer la solution SWIFT pour qu’elle puisse évoluer, et nous avons dû prévoir les nouveaux types de paiements qu’il allait falloir supporter, principalement par configuration seulement.

La NPP, qui englobe une solution liée au système PayID, offre également la possibilité d’être liée à une éventuelle structure d’identité numérique du client.  À mon avis, dès que nous disposerons d’une solution nationale en matière d’identité numérique, celle-ci pourra servir à de multiples applications.  Et grâce à cet élargissement des possibilités d’utilisation, notre volonté de nous améliorer sans cesse justifie les coûts qui s’ensuivent, et nous disposerons de rails normalisés qui pourront soutenir de plus en plus d’applications. Ainsi, la NPP a été conçue afin de pouvoir évoluer et d’être en mesure de soutenir non seulement de nouvelles solutions de paiements, mais aussi de nouvelles interactions entre les participants.

L’initiative de la NPP a-t-elle offert à la banque ANZ des possibilités inattendues? 
Une des leçons que nous avons apprises, c’est que dans tout exercice de mise en application d’un système de paiement en temps réel, tous les secteurs de la banque doivent être au courant de ce qui se passe. Comme je l’ai mentionné auparavant, il s’agit d’une expérience de client à client, non de banque à banque. Nous avons ainsi eu la possibilité de faire évoluer nos solutions tout au long du cycle de vie des paiements. Les canaux de distribution de l’enclenchement des paiements doivent être fluides, tant pour les opérations bancaires par Internet que pour les paiements mobiles. De plus, il est plus important que jamais de pouvoir prévenir et détecter les fraudes, et l’avènement des opérations de comptabilité et de rapports et des opérations clients faites en temps réel et en mode 24-7 pose de grands défis. Ce sont-là des questions d’importance cruciale auxquelles les banques doivent réfléchir - non seulement le paiement comme tel, mais aussi le contexte commercial du paiement, et non seulement la conformité, mais aussi l’engagement du client. Cette expérience a été très intéressante, et nous la répétons dans de nombreux pays.  Il existe suffisamment de ressemblances entre les processus et les modèles de transactions pour nous permettre de mettre au point de multiples solutions dans d’autres pays de façon efficace et économique, ce qui facilite les choses.

Nous sommes impatients de vous revoir à la conférence Sibos. Qu’est-ce qui vous incite à venir de si loin pour participer à la conférence?
J’assiste généralement à la conférence aux deux ans – c’est la meilleure occasion de réunir des gens qui savent de quoi ils parlent afin de discuter des problèmes et des solutions auxquels nous faisons tous face. Le concept des opérations bancaires ouvertes nous vient sans aucun doute de l’Europe, et il y a quelques années, la tendance était aux cryptodevises et à la technologie du grand livre distribué. La question des solutions de perturbateurs pour les paiements internationaux pourrait être un point de mire à Toronto.  La conférence Sibos réunit les acteurs d’un grand nombre d’initiatives, et comme il s'agit d’un événement de portée mondiale, les opinions qui s’y expriment ne sont pas toujours celles auxquelles on s’attend. Les points de vue des différents experts nous amènent à envisager nos propres défis sous un autre angle. Et bien entendu, il est toujours agréable de renouer avec ses vieux copains... et de s’en faire de nouveaux!

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