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Épisode 9 - Tendances des paiements au Canada en 2020

On sait que les Canadiens veulent des options de paiement toujours plus numériques et modernes. Mais qu’en est-il en cette ère de pandémie mondiale? Cyrielle Chiron, animatrice de Paypod, s’entretient avec Tracey Black, présidente et chef de la direction de Paiements Canada, et David Chance, président de son Comité consultatif des intervenants. Cyrielle et Tracey discutent d’abord des répercussions de la crise sanitaire sur les tendances en matière de paiement, qu’il s’agisse de l’argent comptant, des dépôts directs ou d’autres enjeux. David parle ensuite de ses perspectives sur les nouvelles habitudes des consommateurs et des raisons pour lesquelles les commerçants doivent suivre de près les tendances, les habitudes et les comportements des consommateurs.

Façons d’écouter les balados :

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Invités :

Tracey Black, présidente et chef de la direction de Paiements Canada
David Chance, vice-président des stratégies de paiement et de l’innovation chez Fiserv et président du Comité consultatif des intervenants de Paiements Canada

Écouter l’épisode

Transcription du podcast

Cyrielle Chiron :
Les Canadiens ont rapidement adopté les paiements par débit, poste à poste et sans contact, en bonne partie dû au fait que les banques les ont mis en place. Quant aux paiements automatiques, nous acquérons de l’expérience, ce qui influe sur leur adoption. Quels sont les modes de paiement que les détaillants ont mis du temps à adopter? Bonjour, je m’appelle Cyrielle Chiron, et j’animerai la deuxième saison de PayPod, un balado qui aborde sous tous ses angles la mission ambitieuse de l’organisme de paiements du Canada et qui explore les thèmes façonnant le monde des paiements au Canada et dans le monde.

Mes habitudes de paiement ont énormément changé depuis que ma ville, ma province, mon pays et le monde entier sont entrés dans l’ère du confinement et de la distanciation physique. J’achète presque tout en ligne et je n’utilise plus d’argent comptant depuis près de deux mois maintenant. Et ce qui est certain, c’est que je ne suis pas la seule. En tant que chef de la recherche à Paiements Canada, je vois bien ce que révèlent nos études sur les tendances en matière de paiements dans le contexte de la COVID-19. Parmi les Canadiens qui se rendent en magasin, 42 % évitent les endroits qui n’acceptent pas le paiement sans contact, et 52 % tâchent de ne pas dépasser le montant limite pour ce type de paiement. L’utilisation de l’argent comptant et des chèques a fortement chuté au profit du paiement sans contact et des diverses formes de paiement électronique. Je me pose donc les questions suivantes : La COVID-19 forcera-t-elle les détaillants à s’adapter et à adopter plus vite d’autres modes de paiement? Comment les habitudes de paiement et de consommation ont-elles évolué dans les derniers mois? Quelles sont les répercussions de la COVID-19 sur les tendances en matière de paiements au Canada?

Je reçois aujourd’hui Tracey Black, présidente et chef de la direction de Paiements Canada. C’est sous sa gouverne que Paiements Canada définit le prochain tournant de son évolution, en veillant à répondre aux besoins des entreprises et des consommateurs canadiens et en propulsant une nouvelle ère de modernisation des paiements. En plus de Tracey, je reçois aussi David Chance, vice-président des stratégies de paiement et de l’innovation chez Fiserv et président du Comité consultatif des intervenants de Paiements Canada. Pionnier de ce secteur, il a dirigé la mise en place de stratégies, de solutions et de technologies visant à faciliter l’innovation et la modernisation des paiements partout dans le monde. Merci à tous les deux de vous joindre à cette édition de PayPod.

Tracey Black : 
Merci de nous recevoir.

David Chance :
Oui, merci.

Cyrielle Chiron :
Tracey, avant de plonger dans le vif du sujet, j’aimerais que vous nous parliez de votre expérience comme nouvelle présidente et chef de la direction de Paiements Canada, poste que vous occupez depuis le 1er mars dernier. Vous n’êtes pas nouvelle à Paiements Canada, car vous avez dirigé nos initiatives de modernisation ces dernières années, mais je suis certaine que les 30 premiers jours de votre mandat n’ont pas du tout été ce que vous aviez imaginé. Pouvez-vous nous parler un peu de ce que vous avez vécu durant le mois de mars?

Tracey Black : 
Bien sûr, Cyrielle, avec plaisir. Quand j’y repense maintenant, je me rends compte que nous étions un peu dans le brouillard. Le mois de mars a été infernal pour tout le monde. J’ai pris la direction de Paiements Canada – Gerry Gaetz m’a passé le flambeau le 1er mars –, et ma première grande décision comme chef de la direction a été de fermer les bureaux. En réalité, c’était une décision relativement facile à prendre dans le contexte. De plus, j’ai eu la chance de séjourner en Europe durant la deuxième semaine de mars, ce qui m’a vraiment mise au parfum. J’étais à Amsterdam, et le jour où j’y suis arrivée, le premier ministre annonçait l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes. Tous les musées ont dû fermer, et on a recommandé à ceux qui le pouvaient de travailler de la maison. Cela aussi m’a fait prendre conscience de la situation.

Tracey Black : 
Et à ce moment, la situation au Royaume-Uni a commencé à prendre un tournant assez inquiétant. J’ai donc vécu une sorte d’introduction hâtive à la COVID, car les choses évoluaient plus rapidement en Europe à ce moment. Quand je suis revenue au Canada, la première chose à faire a été de fermer les bureaux d’Ottawa et de Toronto et de demander au personnel de travailler de la maison. Heureusement, tout s’est assez bien déroulé pour nous, car les gens sont habitués à travailler à distance, et nous avons d’excellents outils technologiques. Tous nos employés ont une tablette. Donc pour Paiements Canada, la transition vers le télétravail a été plus facile que pour d’autres entreprises. Mais malgré tout, envoyer tout le monde à la maison était une décision majeure pour une nouvelle chef de la direction.

Tracey Black : 
Et après cela, la difficulté, c’est que personne ne sait vraiment ce qui va se passer. Jusqu’à un certain point, nous vivons un jour à la fois. Il s’agit de trouver les faits, d’essayer de faire des liens entre ces faits, et de voir à bien s’occuper des employés. C’est ce qui a été notre priorité tout au long de la crise : le bien-être des employés. Vous avez raison, l’optique est différente. Mais je tiens ici à saluer le personnel de Paiements Canada, car nos systèmes sont restés parfaitement fonctionnels. La Banque du Canada ayant injecté beaucoup de liquidités dans l’économie canadienne, notre système de paiements de grande valeur doit gérer un volume d’opérations plus de deux fois supérieur à la normale – en fait, c’est le cas pour tous nos systèmes. Au bout du compte, nous réglons une énorme quantité de paiements, et tout fonctionne à la perfection. Même si nous faisons tous du télétravail, les systèmes restent extrêmement performants. C’est pourquoi je suis vraiment fière de Paiements Canada et du fait que nous avons été capables de relever le défi posé par la COVID.

Cyrielle Chiron :
Très heureuse d’entendre que tout fonctionne à merveille et que la transition s’est faite parfaitement. C’est très important. David, vous travaillez pour Fiserv depuis presque trois ans, mais êtes un spécialiste des paiements depuis beaucoup plus longtemps. Je suis certaine que l’expérience que Tracey vient de raconter, en tant que leader en temps de crise, a une résonance particulière pour vous. Avant que nous abordions les répercussions de la pandémie sur les paiements, auriez-vous quelque chose à ajouter?

David Chance :
Oui. Je travaille en effet dans le secteur des paiements depuis plus de 30 ans, mais jamais, durant tout ce temps, je n’ai vu un changement ou des répercussions d’une telle ampleur découlant d’un événement comme ce qu’on voit avec la pandémie. Tracey a fait un travail incroyable. Je pense qu’il serait très important, quand nous remercions ceux qui travaillent en première ligne, de remercier aussi ceux qui, dans les services financiers, s’assurent que les opérations en ligne et les paiements continuent de fonctionner aussi bien. Nous pouvons à peine imaginer ce qui serait arrivé s’il y avait eu des problèmes dans les systèmes de paiement en plus de tout le reste.

David Chance :
Nous devons aussi nous rappeler que lorsqu’on fait un plan de continuité des affaires, on vise en général un problème précis, comme la perte d’un centre de données ou d’un centre d’appels. Mais ce que nous avons vu ces derniers mois, c’est la nécessité de mettre en place, du jour au lendemain, différents plans de continuité couvrant d’énormes pans des activités. On parle de plusieurs centres de données, qui ont une incidence sur l’effectif, et de plusieurs centres d’appels, qui ont une incidence semblable, puis d’une transition très rapide, du jour au lendemain, d’un type de paiement aux paiements électroniques.

Cyrielle Chiron :
En effet. Voilà une affirmation très importante : les paiements sont vraiment un des piliers de l’économie. Donc, s’assurer que tout fonctionne bien est crucial. Tournons-nous maintenant vers les paiements et les tendances. Vous avez mentionné qu’il y a eu des changements, certains assez considérables, dans les derniers mois. J’aimerais commencer avec vous, Tracey. Qu’est-ce qui vous surprend lorsque vous comparez la situation actuelle à celle d’avant la pandémie?

Tracey Black :
Selon moi, il n’y a pas tant de surprises. Si les gens ne quittent plus beaucoup leur maison, on peut imaginer les effets potentiels sur certains types de paiements. Je crois que la réaction de l’écosystème à la situation a, dans certains cas, facilité quelque peu les transactions. Vous savez, Cyrielle, que nous avons publié à la mi-mai une étude faisant état de quelques changements d’habitudes de paiement signalés par les consommateurs. Les données entourant ces changements sont intéressantes à relever. Ainsi, des réseaux de paiement comme Visa, Mastercard et American Express ont fait passer la limite des paiements sans contact de 100 $ à 250 $, permettant aux consommateurs de faire des achats plus importants avec cette méthode.

Tracey Black :
Les consommateurs sont très au courant de la propagation de la COVID-19 et préfèrent, s’ils ont le choix, éviter de toucher au terminal. Le paiement sans contact a donc suscité un grand intérêt de leur part. Ce constat figurait très nettement dans notre étude. Un autre élément important, c’est le recours à l’argent comptant, qui est en baisse. D’ailleurs, dans nos propres systèmes, nous avons observé des hausses assez importantes dans les retraits en espèces – pas seulement dans le nombre de transactions, mais aussi dans leur valeur. De plus, en comparant nos données d’avril avec celles de la même période l’an passé, nous constatons un déclin marqué – près de 40 % – du nombre de chèques non gouvernementaux traités par nos systèmes.

Tracey Black : 
Actuellement, les gens ne font pas de transactions en personne, alors que l’argent comptant et les chèques, surtout, sont deux méthodes utilisées couramment dans les situations où nous sommes présents physiquement. Mais lorsqu’on est confiné à la maison… Les médias parlent d’une augmentation conséquente des transferts électroniques; il n’est pas surprenant de voir un bond dans l’utilisation du paiement électronique et une baisse des paiements papier. Pour moi, ce n’est pas une surprise. L’ampleur de ces changements est toutefois un peu plus grande que ce que nous avions prévu, et je crois qu’il s’agit d’une occasion pour que certaines de ces nouvelles habitudes s’implantent pour de bon.

Cyrielle Chiron :
Oui, vous soulevez un bon point. David, j’aimerais aussi entendre votre avis là-dessus, et ce que vous auriez à ajouter. Peut-être aussi savoir si vous observez les mêmes comportements au Royaume-Uni, comme vous voyagez beaucoup et que vous y habitez. Auriez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

David Chance :
Oui, je suis d’accord avec Tracey. Selon moi, ce qui a été très surprenant, c’est le déclin rapide du recours à l’argent comptant. En Europe, le montant limite pour le paiement sans contact est moins élevé. Au début de mars, il était autour de 30 livres, ou de 30 euros, et au milieu de mars, il a été porté à 45 livres. Ce que j’ai observé, c’est une transition rapide de l’argent comptant vers les portefeuilles mobiles; par exemple, Apple Pay, parce qu’il n’y a aucun montant limite. Dans les épiceries et les supermarchés, les gens attendaient pour payer, mais le paiement sans contact n’était pas une option, car certains ne venaient qu’une fois par semaine, ou n’étaient autorisés à venir qu’une fois par semaine. Étant donnée la limite si peu élevée, les gens ont rapidement adopté Apple Pay et Google Pay. C’est la limite elle-même qui posait problème.

David Chance :
Il semble aussi y avoir des changements du côté des transactions d’un compte à un autre. Nous sommes très chanceux en Europe, y compris au Royaume-Uni, car nous avons accès aux paiements instantanés de ce type. Et je crois que ça aide ceux qui doivent se mettre en isolement et qui sont confinés dans leur domicile. Ils peuvent demander à un proche de faire leurs courses et de laisser les articles à leur porte, et payer directement la personne. Bien sûr, le paiement par carte ne fonctionnerait pas ici. Et lorsqu’on est en isolement, il est très difficile de se procurer de l’argent comptant. De plus, on a vu beaucoup d’entreprises qui ont réussi à garder la tête hors de l’eau en adoptant les paiements instantanés, car elles ont pu ainsi gérer de très près leurs flux de trésorerie. Je pense d’ailleurs que la plupart des entreprises commencent à voir la pertinence d’utiliser le paiement instantané pour assurer une gestion presque d’heure en heure.

Cyrielle Chiron :
Vous soulignez un excellent point. C’est très intéressant, car notre recherche de 2019 – publiée dans ce que nous appelons le rapport annuel sur les modes de paiement et les tendances – révèle que les Canadiens utilisent le paiement sans contact et qu’il y a un appétit pour l’innovation et les multiples options de paiement sans contact par téléphone cellulaire, bien que celles-ci soient encore très peu utilisées par les consommateurs. Cela est principalement dû, possiblement, à un manque d’intérêt ou à des inquiétudes concernant la sécurité, ou encore à l’absence de besoin. Et selon ce que vous venez de dire, la pandémie a eu pour effet de catalyser l’innovation au Royaume-Uni. Croyez-vous qu’après la pandémie, nous assisterons à une accélération encore plus importante de l’innovation, et que pourrait s’ouvrir en quelque sorte une ère d’innovation?

David Chance :
Oui, pour moi ça ne fait aucun doute. Maintenant les gens utilisent le paiement sans contact et par téléphone cellulaire, et ce n’est pas cantonné à un groupe d’âge restreint. Dans un sens, tout le monde a été forcé d’adopter ces solutions. Et la tendance ne fera que s’accentuer, à une vitesse inédite jusqu’ici. Il reste certains irritants, et c’est ce à quoi nous devons nous attaquer. Je rappelle qu’utiliser un téléphone cellulaire connecté à une carte revient à utiliser une carte de paiement sans contact. Je pense que de plus en plus d’innovations verront le jour et que cet usage se répandra avec les transferts d’un compte à un autre – le fait de pouvoir payer directement, à partir de mon compte, une autre personne, une entreprise ou un commerçant.

David Chance :
Nous serons témoins d’innovations très intéressantes. Un des désavantages du paiement sans contact, c’est qu’il est très difficile de gérer son argent. En ne faisant que passer sa carte devant le terminal, on ne voit pas que des fonds disparaissent. Alors qu’avec des billets dans un portefeuille, on voit à quel point on dépense. Donc, je pense qu’il y aura de nouvelles solutions qui aideront à gérer son argent. Par exemple, l’affichage du solde lorsque je fais un paiement sans contact avec mon téléphone; je verrai alors l’argent qui s’envole. Je pourrai aussi créer des sous-portefeuilles où je pourrai déposer mon argent. Et lorsque je magasinerai, je recevrai des messages me disant, par exemple, d’éviter d’aller m’acheter un café parce que je fais des économies pour autre chose. Je crois donc qu’il y a un inconvénient ici, mais nous en sommes à réunir les conditions pour que les gens puissent utiliser les technologies mobiles et prêtes à porter de cette manière.

David Chance : 
Je pense aussi que les aspects physique et virtuel sont appelés à fusionner. Nous vivons actuellement une période où le contact est interdit dans la plupart des endroits, ou mal vu. Très bientôt, l’attente physique à la caisse passera dans le monde virtuel, pour que nous n’ayons pas à faire la file. Notre panier d’achats se mettra à jour automatiquement au fil de notre parcours en magasin, et le paiement se fera automatiquement au moment de quitter l’endroit. Le passage physique à la caisse et le paiement virtuel deviendront une seule et même chose.

Cyrielle Chiron :
J’aime bien votre remarque sur la réunion des conditions, le fait que la pandémie crée les conditions favorables aux innovations, notamment celles que vous mentionnez. Tracey, j’aimerais aussi avoir votre avis, car nous le savons, Paiements Canada mène actuellement un projet de modernisation. Voyez-vous concrètement en quoi la situation pourrait accélérer les choses?

Tracey Black :
Je suis d’accord avec beaucoup de choses que David a mentionnées. La crise de la COVID a rendu les gens assez réceptifs au changement, qu’ils le veuillent ou non. Et nous avons dû revoir nos façons de payer, vu que nous devons attendre en file pour passer à la caisse, à deux mètres de distance. Il y a un réel désir de changement, pas seulement chez les consommateurs, mais chez les détaillants aussi. Je pense donc que la crise donnera lieu à des innovations. Je suis d’accord avec David concernant les files d’attente. N’importe qui ayant travaillé dans le secteur des paiements sait qu’il y a beaucoup d’innovations que le consommateur souhaiterait voir, mais qui, pour le détaillant, sont difficiles à mettre en place. Actuellement, nous sommes dans une conjoncture unique où l’un comme l’autre veut des changements dans l’expérience de paiement.

Tracey Black :
En ce qui a trait à la convergence entre les points de vente physique et virtuel, je suis d’accord. Par le passé, certains détaillants ont mis en place une expérience de paiement qui était en quelque sorte un processus « magique » se déroulant au fil de notre parcours en magasin. Aujourd’hui, les détaillants sont probablement très désireux d’éviter les files d’attente au point de vente lorsqu’elles ne sont pas absolument nécessaires. Il y a donc de fortes chances qu’ils se mettent à investir dans des technologies qui réduiront ou même élimineront ces files d’attente.

Tracey Black : 
Au sortir de la crise actuelle, nous serons tous beaucoup plus réceptifs à ces changements. Quant à la modernisation, une fois qu’un système de paiements en temps réel sera implanté au Canada, bon nombre d’expériences décrites par David deviendront possibles. Comme le paiement direct à partir du compte, avec information sur le solde au fil des achats : c’est le genre de chose que permettra le Paiement en temps réel au Canada. Je pense aussi qu’il y aura une demande de la part des détaillants pour que les clients puissent savoir en temps réel de quels fonds ils disposent au point de vente.

Tracey Black : 
Ces cas de figure sont tous à l’ordre du jour. Nous surveillons la situation dans d’autres pays qui ont mis en place le paiement en temps réel. Je suis très curieuse de voir si cela a entraîné une hausse de la demande et des attentes, des consommateurs comme des détaillants, mais aussi des entreprises, qui peuvent ainsi être payées en temps réel et bénéficier de nouvelles expériences de paiement.

Cyrielle Chiron : 
Excellent. Ce qu’on peut constater, c’est que l’argent comptant sera en voie de disparition. Dans les faits, on voit qu’il est délaissé au fil du temps. Mais d’ici un an, il y aura eu beaucoup de changements importants dans les comportements et les modes de paiement des Canadiens. Nous avons beaucoup parlé d’innovations – surtout de paiements numériques – et du déclin de l’argent comptant, un phénomène qui s’observe dans le temps. D’après vous, n’y a-t-il pas un risque que certaines personnes, qui par exemple sont plus âgées ou vivent en région éloignée et n’ont pas nécessairement accès à toutes ces innovations, se sentent un peu exclues de tout cela? J’aimerais commencer par vous, David, puis ensuite nous enchaînerons avec Tracey.

David Chance : 
Oui. Pour l’industrie des paiements, la COVID-19 a été en quelque sorte un pas en avant bienvenu dans la transition vers les paiements électroniques. Le volume de transactions réglées autrement qu’avec de l’argent liquide continuera d’augmenter rapidement. Toutefois, le comptant a de grands avantages, car il est omniprésent et facile à utiliser. Mais ce que la COVID-19 a montré, c’est que cette omniprésence peut rapidement s’effacer et révéler des lacunes. Très vite, le paiement au comptant peut se heurter à des obstacles, dus à la peur de la contamination et aussi au fait qu’il est incompatible avec une situation de confinement. Nous entrons effectivement dans une ère de transition difficile causée, par exemple, par une crainte réelle et prolongée d’utiliser l’argent comptant. Cela aura des conséquences pour ceux qui n’ont pas accès aux paiements électroniques. Il nous faut vraiment mettre l’accent sur l’inclusion et faire la transition de sorte que ces personnes puissent fonctionner dans un monde où les paiements électroniques et sans contact seront la norme.

David Chance : 
Nous devons sérieusement nous pencher sur l’inclusion en matière de paiements électroniques, et pas seulement en ce qui concerne le passage à la caisse. Beaucoup d’éléments périphériques aideront à lever les obstacles. Entre autres, des détaillants et des petits marchands acceptent l’argent comptant, qu’ils transforment ensuite en paiement électronique au nom du client. Il faut développer cet aspect, il faut regarder comment on peut utiliser, par exemple, les demandes de paiements, les API associées à un système bancaire ouvert et les paiements instantanés, pour construire un écosystème qui favorisera l’accès aux paiements électroniques pour ceux qui sont actuellement laissés de côté et qui utilisent l’argent comptant.         

David Chance :
Mais nous devons agir très vite. Auparavant, il était question d’implanter le tout sur des années. Le virus, qui sera là pour les 12 à 18 prochains mois, voire plus, cause un problème. Je ne crois pas qu’il y aura un retour du comptant durant cette période, mais plutôt un déclin encore plus marqué. Il faut donc travailler sur ces questions pour assurer l’inclusion.

Cyrielle Chiron : 
Très pertinent, en effet. Tracey, avez-vous quelque chose à ajouter en ce qui concerne l’utilisation du comptant et votre lecture des tendances à ce sujet au Canada?

Tracey Black :
C’est un problème difficile à résoudre, mais heureusement, au Canada, très peu de personnes – mais il y en a tout de même – n’ont pas de compte bancaire, quoiqu’ils soient nombreux à être mal servis à ce chapitre. Nous devons donc inclure des solutions pour tous dans nos plans. Il nous faut simplement garder cet aspect en tête. C’est là une des difficultés qu’il nous faut mettre en avant.

Cyrielle Chiron :
Oui, très bon point. Vous avez tous deux parlé d’investissements et du fait que cette situation engendrera beaucoup d’innovations et d’investissements dans vos solutions pour soutenir l’économie et dans les paiements entre consommateurs et entreprises, particulièrement les détaillants. J’aimerais revenir sur cet aspect. Est-il possible pour tous les commerçants d’investir massivement afin qu’ils aient la résilience nécessaire lors d’une situation comme celle que nous vivons? J’aimerais commencer avec vous, Tracey; qu’en pensez-vous?

Tracey Black : 
Pour ce qui est de Paiements Canada, son travail est axé avant tout sur l’infrastructure de base qui soutient la compensation et le règlement des paiements au Canada. Nous avons une importante initiative de modernisation, en cours depuis un certain temps, et visons le lancement de notre nouveau système de paiements de grande valeur l’an prochain, en 2021. Nos démarches de modernisation découlent largement de la nécessité d’assurer la sûreté, la sécurité et la résilience de nos systèmes. On peut représenter les infrastructures de paiements comme un cercle dont Paiements Canada est le centre; à mesure qu’on s’éloigne du centre, on trouve d’autres couches d’infrastructures.

Tracey Black :
Nous offrons donc, au cœur du système de paiements, une infrastructure améliorée, et visons à renforcer sa résilience. Nous espérons que dans les diverses couches d’infrastructures, les entités font les investissements nécessaires pour que l’ensemble de l’écosystème soit résilient. Il revient à chaque détaillant d’évaluer sa situation et de choisir le meilleur investissement pour s’assurer que son expérience de paiement corresponde à ses attentes en matière de convivialité et de résilience.

Cyrielle Chiron : 
Bien. Voilà un point très pertinent. Et puisqu’on parle des détaillants, j’aimerais avoir votre avis là-dessus, David, puisque vous faites beaucoup affaire avec eux. Comment les aidez-vous à adopter les nouveaux modes de paiement et à faire la transition entre le comptant et le numérique?

David Chance :
En effet, Fiserv aide de nombreux marchands partout dans le monde. Une transition s’observe actuellement : beaucoup de grands détaillants suivent l’exemple des détaillants de petite et moyenne taille en externalisant les paiements et leur traitement à des entreprises comme Fiserv pour tirer parti des investissements de ces fournisseurs et en faire profiter de larges pans de leur clientèle. Il s’agit plus de voir comment des entreprises comme la nôtre peuvent travailler étroitement avec les groupes de commerçants, tout comme Paiements Canada, pour offrir des services supplémentaires. Les paiements forment une partie du casse-tête, et l’utilisation de plusieurs modes de paiement est un facteur de résilience, mais chacun vient avec des coûts.

David Chance :
On parle de l’argent comptant comme si cela ne coûtait rien au marchand, mais c’est probablement, après les chèques, le type de paiement le plus dispendieux à traiter et à gérer. Avec les cartes, il y a bien sûr un coût, pour les frais et l’interchange. Les transferts d’un compte à un autre sont une autre option, probablement la moins coûteuse de toutes. Il s’agit donc pour les organisations d’évaluer leurs activités. Elles peuvent décider que les paiements en font partie intégrante, mais pas au point de se spécialiser. Elles pourront alors externaliser cette fonction à un spécialiste qui sera en mesure de faire des investissements et d’innover pour pouvoir tirer parti des initiatives de modernisation.

Cyrielle Chiron : 
Excellent. Ça me semble un bon point. Nous parlons beaucoup du consommateur et du détaillant, des paiements de l’un à l’autre ou d’un consommateur à l’autre, et des innovations dans cette sphère. J’aimerais maintenant me tourner vers les paiements entre entreprises. Les particuliers, avec les paiements poste à poste, sont déjà bien servis, en particulier au Canada avec les transferts électroniques. Mais les entreprises, elles, utilisent beaucoup les chèques. Comment voyez-vous les choses évoluer, s’il y a effectivement une transition vers le numérique de ce côté?

Tracey Black : 
C’est un élément qui est sur la table depuis quand même un certain temps. Quand Paiements Canada a entrepris de définir sa vision en 2016, les intervenants du secteur privé au Canada nous ont transmis un message assez clair, à savoir qu’ils étaient à la recherche d’un mode de paiement transparent, qui permet la consignation des renseignements sur le paiement et avec lequel ils pourraient se payer entre eux plus efficacement et en temps réel. Ce sont là des caractéristiques à valeur ajoutée des paiements en temps réel que les entreprises recherchent vraiment. Et lorsque nous regardons l’évolution des habitudes de paiement, surtout chez les consommateurs, nous remarquons un déclin assez marqué de l’utilisation des chèques dans les derniers mois, durant la crise de la COVID. Il s’agit là d’une occasion de comprendre les facteurs sur lesquels nous devrions nous pencher dans le secteur des entreprises ainsi que les moyens de réduire le recours aux chèques pour les paiements entre entreprises.

Tracey Black : 
D’après le Rapport canadien sur les méthodes de paiement et les tendances des paiements publié par notre organisme, 80 % des chèques émis au Canada servent au paiement entre entreprises. La mise en place d’un système en temps réel au Canada représente une occasion de réduire considérablement les émissions de chèques. Nous devrions donc tirer tous les enseignements possibles au cours des prochains mois, en espérant que la situation ne s’étire pas beaucoup plus longtemps. Comme nous l’avons vu en ce qui concerne les habitudes de paiement durant la crise, les gens sont de plus en plus à l’aise avec la numérisation de paiements qui avant se faisaient avec du papier. Je crois qu’il serait fort utile pour tout l’écosystème canadien de surveiller la transition des paiements par chèques vers les formes numériques, et de comprendre, lorsque nous lancerons les Paiements en temps réel au pays, comment favoriser la numérisation des paiements entre entreprises du mieux que nous pouvons.

Cyrielle Chiron : 
Excellent. David, vous avez mentionné la popularité grandissante des paiements d’un compte à un autre au Royaume-Uni. C’est parce que vous voyez la même tendance dans les paiements entre entreprises?

David Chance : 
Oui. Au départ, l’utilisation des paiements instantanés au Royaume-Uni était en bonne partie associée aux transactions entre entreprises, ce qui a entraîné la création d’unités fonctionnelles et de modèles d’affaires complètement nouveaux. En ce qui concerne l’utilisation des chèques, il faut tenir compte de deux choses. Rien de plus simple que d’agrafer un chèque à une facture et de renvoyer le tout : le destinataire saura à quoi a servi le chèque et comment faire le rapprochement. Donc, l’élément important n’est pas tant la transaction d’un compte à un autre, mais plutôt l’information qu’il est possible d’envoyer et de recevoir. Il faut donc des formats de message, comme celui de la norme ISO 20022, qui permettent d’accroître de beaucoup l’information rattachée à un paiement et, du même coup, de réduire les dépenses de traitement des comptes débiteurs et créditeurs et d’automatiser le traitement de nombreuses exceptions connexes.

David Chance :
Plus que tout, ce qui réduira le recours aux chèques, c’est l’information qui pourra être transmise, et notamment la possibilité d’ajouter des commentaires. Demande de paiement, message texte, avis de réception de paiement et autres renseignements du genre : voilà ce qui favorise l’abandon des chèques au profit des paiements électroniques entre entreprises. Ce que nous voyons en Europe, et de façon claire, c’est l’adoption rapide des paiements instantanés par les entreprises. Non pas parce qu’ils sont instantanés, mais parce qu’ils contiennent des données très étoffées. Et la même chose se produit aux États-Unis avec The Clearing House. Ce sont les données et la possibilité d’avoir un échange qui motivent plus que tout l’adoption de ce mode de paiement, plutôt que le fait qu’il soit instantané.

Cyrielle Chiron :
Très bien. Pour conclure, j’aimerais que vous nous fassiez part en quelques mots de vos réflexions sur la situation dans un an exactement. Quel sera le plus grand changement auquel nous aurons assisté? Nous avons discuté de nombreuses choses, et beaucoup d’innovation, mais quel sera le changement le plus important dans le monde des paiements, compte tenu de ce qu’auront vécu les Canadiens et la population mondiale à cause de la COVID-19? David, commençons avec vous.

David Chance : 
Je pense que dans 12 ou 18 mois, nous serons dans un monde où le paiement sans contact par téléphone cellulaire sera prédominant. Il n’y aura pas de rebond momentané des paiements comptants, mais plutôt un déclin. Il y aura beaucoup d’innovations liées aux paiements instantanés et d’un compte à un autre. Nous verrons beaucoup d’entreprises de technologie financière créer des portefeuilles mobiles et des applications de gestion des liquidités. Et ce ne sera que le début du parcours – il se fera très rapidement – qui entraînera l’adoption des données enrichies, des paiements par téléphone cellulaire et des échanges d’information, et la numérisation de toute la transaction, de la demande jusqu’à l’avis de paiement. De nombreuses entreprises d’un nouveau type seront créées, car ces technologies permettent d’ouvrir des portes. Nous l’avons vu au Royaume-Uni et en Europe, et nous le voyons maintenant aux États-Unis, où ces changements forment un cadre de développement des innovations. 

Cyrielle Chiron :
Bien. Et vous, Tracey? Quel sera selon vous le plus grand changement, au Canada ou dans le monde?

Tracey Black :
Je suis d’accord avec tout qu’a dit David sur la situation dans le commerce de détail. Nous observons déjà une hausse des paiements sans contact, et je suis également d’avis que la numérisation sera le grand objectif, et ce, au-delà du commerce de détail. Regardons les choses sous un angle plus large, outre le point de vente, et pensons, par exemple, aux transactions dans les succursales bancaires. De ce côté, on cherche vraiment à trouver des solutions pour les transactions où les clients doivent se présenter en personne. Les banques ont dû mettre en place des options de rechange pour résoudre les problèmes et éviter aux clients un déplacement en succursale, et ce que j’entrevois, c’est que ces expériences de paiement numériques joueront un rôle majeur dans les services bancaires aux particuliers au Canada.

Tracey Black :
Je m’attends donc à ce que se concrétise le mouvement de numérisation dont David a parlé, mais qu’il s’étende au-delà du point de vente. Ainsi, il est probable qu’à l’avenir, les Canadiens n’aient plus besoin de se rendre très souvent dans une succursale bancaire – peut-être même plus du tout. Les banques ont adapté leurs processus, et des secteurs autres que celui des paiements l’ont fait aussi. Prenons les signatures numériques, qui sont maintenant acceptées pour beaucoup de choses alors qu’elles ne l’étaient pas avant. Elles simplifient beaucoup de processus bancaires qui exigeaient auparavant une signature à la main. La crise de la COVID nous aura appris qu’une signature électronique est probablement acceptable dans la plupart des situations, sinon dans toutes. Alors je m’attends à voir une numérisation tous azimuts qui changera l’expérience pour toutes sortes de paiements liés aux services bancaires et aux transactions, et pas seulement dans le commerce de détail.

Cyrielle Chiron :
J’adore l’expression « numérisation tous azimuts ». Une remarque très pertinente. C’était donc tout le temps que nous avions pour cet épisode. Tracey et David, merci de vous être joints à moi aujourd’hui pour nous éclairer de vos lumières.

Tracey Black :
Merci de nous avoir reçus.

David Chance : 
Merci. Ce fut un plaisir.

Cyrielle Chiron : 
La vision de Paiements Canada est celle d’un système de paiements moderne qui est rapide, flexible et sûr, qui encourage l’innovation et qui assoit la position concurrentielle du Canada. Notre organisation mène des études pour comprendre l’expérience de paiement que les Canadiens recherchent et les motifs sous-jacents. La pandémie mondiale modifiera-t-elle en profondeur les tendances que nous avons observées? Il faudra attendre un certain temps pour connaître la réponse, mais nos deux experts d’aujourd’hui vous ont fait part de leurs réflexions sur le sujet. Tracey et David, merci de vous être joints à moi aujourd’hui pour nous éclairer de vos lumières. C’est tout le temps que nous avons pour cet épisode. Revenez-nous lors de la prochaine édition de ce balado où nous scrutons en profondeur l’écosystème des paiements du Canada. Je m’appelle Cyrielle Chiron, et je vous remercie d’avoir été des nôtres.

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