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Éliminer les obstacles pour les personnes vulnérables au Canada en améliorant l’accès aux paiements

L’inclusion financière est essentielle au succès de l’économie canadienne, et les paiements et systèmes de paiement inclusifs jouent un rôle central. Elizabeth Mulholland, chef de la direction de Prospérité Canada, une organisation caritative nationale, est déterminée à élargir les possibilités économiques des Canadiennes et des Canadiens vivant dans la pauvreté. Elle partage son point de vue sur la nécessité d'une de paiement moderne, y compris des changements à la Loi canadienne sur les paiements, afin offrir plus de choix aux Canadiens.

Photo de Elizabeth Mulholland, chef de la direction de Prospérité Canada

Parlez-nous de Prospérité Canada et du travail important que vous faites pour veiller à ce que toutes les personnes vulnérables sur le plan financier au Canada aient accès aux politiques, aux programmes et aux produits financiers dont elles ont besoin pour assurer leur bien-être financier. Quelle est l’importance des paiements dans ce cadre?
En un mot, Prospérité Canada collabore avec des partenaires gouvernementaux, commerciaux et communautaires ainsi qu’avec des chercheurs. Son intention est d’élaborer, de mettre à l’essai et d’adapter de manière durable des outils, des ressources et des services financiers qui améliorent sensiblement le bien-être financier des personnes à faible revenu partout au Canada. Nous travaillons aussi directement avec les gouvernements pour veiller à ce que leurs politiques et leurs règlements éliminent les obstacles financiers pour les groupes vulnérables et contribuent à renforcer leur bien-être financier.
Les paiements sont un élément essentiel de l’écosystème financier, en particulier les paiements numériques, qui offrent aux gens d’énormes possibilités d’accéder à une gamme toujours croissante de produits, de services, d’emplois et d’occasions d’affaires, ainsi qu’à des outils d’intelligence artificielle qui les aident à tirer le meilleur parti de leur argent.

Chez Prospérité Canada, nous voulons faire en sorte que les personnes à faible revenu et d’autres groupes vulnérables soient pleinement intégrés dans le système de paiement. Nous voulons aussi que des règles et des cadres réglementaires efficaces soient en place pour protéger les consommateurs contre la fraude et les abus, ainsi que pour leur fournir des services novateurs et concurrentiels, qui répondent à leurs besoins et qui offrent une expérience de consommation optimale.

Malheureusement, de nombreuses personnes à faible revenu ou vivant dans des collectivités rurales ou éloignées ou dans des communautés autochtones ne sont toujours pas pleinement incluses dans notre système de paiement numérique. En conséquence, elles ne profitent pas des possibilités économiques qu’il offre, ce qui représente un coût considérable pour elles et pour la société. Nous voulons travailler avec les intervenants du système de paiement pour changer cette situation.

Quels sont les principaux obstacles aux paiements pour les personnes financièrement vulnérables au Canada?
Les deux principaux obstacles à la participation au système de paiement numérique sont l’exclusion numérique et l’exclusion financière.

De nombreuses personnes à faible revenu ou vivant dans des collectivités rurales ou éloignées ou dans des communautés autochtones peuvent avoir un accès médiocre ou inexistant à Internet et au réseau cellulaire, être incapables de payer le coût élevé des forfaits Internet et de téléphone, ou encore avoir une faible littératie numérique. Tous ces obstacles peuvent rendre difficile, voire impossible, l’accès à notre système de paiement numérique.

Ces mêmes groupes – en particulier les personnes à faible revenu et un grand nombre de celles qui vivent dans des communautés autochtones – peuvent également être exclus financièrement. Cela signifie qu’ils n’ont pas facilement accès à une institution financière ordinaire qui offre des produits et des services financiers sûrs et abordables. C’est particulièrement vrai dans les collectivités du Nord, dans certaines communautés des Premières Nations et dans les quartiers à faible revenu de certaines villes, où les banques locales et les coopératives de crédit ont cédé la place à des services financiers marginaux coûteux et risqués. Par conséquent, ces personnes n’ont souvent pas de compte de dépôt relié de façon numérique au système de paiement, ce qui les exclut d’une foule de produits, d’occasions et de services financiers.

Le Canada a le mérite d’être l’un des pays les plus bancarisés du monde, avec 96 % de la population qui a un compte bancaire officiel. Les personnes qui ne sont pas en banque, cependant, sont surtout dans nos populations à faible revenu et autochtones. Parmi ces populations, même les gens qui ont des comptes bancaires évitent parfois de les utiliser s’ils ont des créances irrécouvrables et craignent que leurs comptes soient saisis.

Prospérité Canada a signé une lettre, conjointement avec des acteurs de l’industrie, à l’intention de la ministre des Finances. Il y est question de la nécessité de modifier la Loi canadienne sur les paiements pour élargir l’accès à l’infrastructure des paiements du Canada. Selon vous, quels sont les avantages ou les possibilités qu’offrirait un accès élargi pour les consommateurs canadiens?
Les avantages les plus importants que nous pouvons offrir aux consommateurs canadiens sont un plus grand choix et une plus grande concurrence dans le cadre d’un système de paiement sûr et bien réglementé.

À ce jour, l’accès à notre infrastructure de paiement a été limité aux grands acteurs du secteur financier. Bien que ceux-ci répondent très bien à de nombreux besoins des consommateurs, ils ne sont pas toujours les principaux moteurs de l’innovation. Ils ne sont pas non plus susceptibles de se concentrer sur des créneaux de consommateurs ayant des besoins plus spécialisés en matière de produits et de services, comme les personnes à faible revenu. Le nombre relativement faible d’intervenants limite également la concurrence, ce qui pourrait maintenir les coûts pour les consommateurs à un niveau plus élevé que s’il y avait plus d’entreprises.

En élargissant de manière responsable l'accès aux paiements aux coopératives de crédit et aux acteurs émergents de la fintech, les consommateurs auront plus de choix, un accès plus rapide à de nouveaux produits et services de paiement innovants, et potentiellement des coûts moins élevés, car une concurrence accrue fait baisser les prix des produits et des services.

Une approche mesurée de l’élargissement de l’accès, qui comprend des règles efficaces et une solide protection des consommateurs, peut aider à créer un marché plus innovateur et concurrentiel, qui profite à tout le monde.

Selon vous, quelles nouvelles tendances et technologies de paiement auront le plus grand impact sur l’inclusion et l’accessibilité sur le plan financier au cours des prochaines années?
Certaines des tendances les plus critiques sont observées à l’extérieur du système de paiement, mais elles y auront également des répercussions. Par exemple, des tendances comme l’adoption officielle par les sociétés financières d’objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et les rapports publics axés sur l’inclusion financière. Je pense aussi au virage plus général vers la conception de produits et de services axés sur le client. À cela s’ajoutent les nouvelles normes réglementaires relatives à l’accessibilité pour les personnes handicapées et le caractère approprié des produits et services financiers pour divers consommateurs, en particulier ceux qui sont vulnérables. Toutes ces tendances peuvent aider à éliminer les obstacles pour les groupes à faible revenu et d’autres groupes vulnérables, et à améliorer l’expérience et les résultats des consommateurs.

D’autres évolutions, comme l’utilisation de produits et de services utilisant l’intelligence artificielle, les services bancaires ouverts et l’introduction prochaine de le Système de paiements en temps réel au Canada sont en fait des armes à double tranchant. Elles présentent à la fois des risques et des possibilités en ce qui concerne l’inclusivité des paiements et l’amélioration des produits, des expériences et des services financiers offerts aux consommateurs à faible revenu et vulnérables.

Il est donc d’une importance capitale que l’inclusion, l’accessibilité et la protection des consommateurs soient au cœur du processus alors que nous mettons en place de nouvelles infrastructures, de nouveaux produits et services, ainsi que des règles et des règlements pour les régir. Si nous faisons bien les choses, nous pourrons rendre notre système de paiement beaucoup plus inclusif et avantageux pour les personnes à faible revenu. Mais si nous ne sommes pas prêts à déployer des efforts dès le départ, le système de paiement risque de devenir encore moins accessible et plus risqué pour les personnes vulnérables.

Vous êtes un membre central du Comité consultatif des intervenants (CCI) de Paiements Canada. Pouvez-vous nous parler davantage de votre rôle au sein du CCI et de ce qui vous y a amené?
Comme je n’avais jamais travaillé directement dans le secteur financier, j’admets que le système de paiement et son fonctionnement étaient pour moi un mystère avant que je me joigne au CCI de Paiements Canada.

Cependant, j’en savais assez pour comprendre que la façon dont le système et ses membres fonctionnent a un impact énorme sur l’expérience financière quotidienne des Canadiennes et des Canadiens et, par conséquent, que même de petits changements pourraient avoir un effet positif majeur s’ils étaient faits correctement.

C’est ce qui m’a convaincue de me joindre au CCI, et je n’ai pas été déçue. Il y a un grand intérêt à comprendre les enjeux concernant l’inclusion dans le système de paiement et à trouver des solutions pratiques pour les régler. Toutefois, le système est vaste et complexe – en fait, c’est un système composé de nombreux systèmes interconnectés – et il est toujours plus facile de cerner les difficultés que d’élaborer méticuleusement des solutions réalisables qui peuvent être mises en œuvre efficacement à l’échelle du système.

C’est pourquoi le CCI a mis sur pied un groupe de travail sur l’inclusion, dont je suis membre. Nous avons travaillé de façon itérative avec le personnel de Paiements Canada, le CCI et le Comité consultatif des membres (CCM). Nous avons cherché à définir ce que nous entendons par un système de paiement inclusif, à établir des principes directeurs, à cerner les principaux défis et occasions pour mettre en œuvre ces principes, et à élaborer des recommandations concrètes. Nous sommes à mi-chemin de ce processus, mais nous sommes encouragés par la forte mobilisation de tous les intervenants, et nous avons hâte de dialoguer avec les membres du CCI et du CCM en novembre et d’entendre leurs commentaires.

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